L'émotion
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Dans les deux cas, la force utilisée est la même, la perspective mentale est différente.
L'énergie émotive qui permet la création d'un hôpital dans le tiers monde ne diffère pas, en nature, de celle qui pousse certains peuples à vouloir exterminer le peuple voisin. Il n'existe, entre les deux, qu'une différence de point de vue.
Si on considère que le monde peut s'améliorer à condition que tout un chacun puisse être soigné quel que soit son niveau de fortune, on bâtit un hôpital. Si on estime que le monde est mal en point, que son état peut s'améliorer, et que cette amélioration possible passe par l'extinction du peuple qu'on juge responsable des malheurs du monde, on s'engage dans un génocide. Dans les deux cas, on cherche le bien et le vrai. La seule différence réside dans la représentation mentale que l'on se fait du réel, dans les a priori sur ce qui est bon, ce qui est mauvais, ce qui est vrai, ce qui est faux.
Les auteurs des crimes collectifs les plus épouvantables s'appuient sur une conception particulière du bien et du mal, et recherchent ce qui, selon eux, est le bien. Leurs actes sont ainsi guidés par l'amour. Le malheur vient
de ce que l'amour, lui, est guidé par une pensée stupide et quand on dit que
l'amour est aveugle, on ne croit pas si bien dire. L'amour est toujours
aveugle et n'écoute que la pensée.
La véritable origine des comportements humains aberrants n'est pas dans le mal, la haine, l'orgueil ou toute autre émotion mais dans la pensée qui est trop sommaire, trop partielle, incapable de prendre en compte ce qui est. Ainsi les seules armes dont on dispose contre les comportements aberrants s'appelle culture et développement du sens critique.
C'est cet amour aveugle qu'on lance vers autrui pour tenter un
rapprochement. Ce qui permet le rapprochement, c'est-à-dire ce qui nous
permet d'aimer notre prochain, c'est de le comprendre. On aime ce qu'on
comprend, on rejette ce qu'on ne comprend pas (sauf en cas d'attirance
extrême).
L'amour, pour être, doit être intelligent.
La femme ressent une pulsion sexuelle essentiellement ambivalente.
Chaque élan sexuel positif génère un contre-élan négatif. Une pulsion
d'amour positif est associée à une pulsion de rejet qui lui est proportionnelle en intensité. Les deux pulsions conjointes représentent, ensemble, la structure de la sexualité féminine. Cette caractéristique est à l'origine du comportement "caractériel" qui est souvent reproché explicitement ou implicitement à la femme. Ce reproche est teinté, bien entendu, d'une nuance fortement péjorative.
Cette ambivalence est très visible par l'extérieur car ce rejet associé en réaction à la pulsion positive a pour vocation de se manifester sur l'entourage. Il est actif envers l'entourage qui est mis, de force, dans le rôle passif. Ce trait de caractère est éminemment préjudiciable à la femme car il est manifeste, visible, et expose celle-ci à la critique.
Bien évidemment, le caractère de l'homme est strictement polaire à la femme et lui est parfaitement symétrique mais ce caractère symétrique masculin s'exprime par une capacité d'oblation de soi qui est plutôt bien vue par les morales de toutes les époques. C'est ainsi que l'homme va se dévouer pour son entreprise, son parti, sa famille. L'homme prend, vis à vis de l'entourage, un rôle passif qui est, par définition, facilement supportable par l'entourage. Cette attitude masculine, tout en étant aussi ambivalente que celle de la femme, échappe structurellement aux critiques. L'origine de ce que l'on appelait l'hystérie féminine se trouve dans cette ambivalence, patente chez la femme et feutrée chez l'homme.
Les rôles féminin et masculin ne sont, par nature, ni bons, ni mauvais. Ils présentent avantages ou inconvénients selon les cas. Le caractère négatif actif de la femme peut-être désagréable, mais il peut être aussi un facteur stimulant comme rejet de la facilité. Le caractère positif passif de l'homme peut paraître plus facile à vivre, mais il peut signifier un accommodement excessif et une absence de remise en question.
Cette inégalité d'expression sur le plan psychologique est inversée sur le plan physique: la sexualité de l'homme passe pour être plus simple et plus visible que celle de la femme. Là aussi, cette dissymétrie de visibilité n'empêche pas la stricte complémentarité sur le plan corporel.
L'éducation sexuelle exerce son influence sur l'individu de deux façons
distinctes mais indissociables. La première fournit les critères de jugement
des sensations sexuelles tandis que la seconde régit les relations sociales.
Lorsque l'éducation comporte une part de refoulement de la sexualité,
Le problème se complique encore du fait que la pulsion sexuelle est
issue de soi, tout en ne se manifestant qu'à travers l'autre.
Cette double condition de la pulsion sexuelle permet d'attribuer à cet
"autre" la responsabilité de ce qu'on ressent. Cette erreur stupide quoique
largement répandue rend la femme seule responsable et donc coupable la
pulsion sexuelle masculine. Les hommes se posent alors tout naturellement
en juges et tentent de reléguer la femme dans des carcans moraux qui leurs
seraient, à eux-mêmes, insupportables : dans des bordels, sous des tchadors,
à la maison, dans le gynécée, à la cuisine, à l'église, etc... Bien tenue en
laisse, la femme devrait poser moins de problèmes à l'homme, devrait moins le déstabiliser...
Mais comme la source de la pulsion sexuelle masculine n'est pas dans la femme, mais
dans l'homme lui-même, rien n'est réglé et la pulsion sexuelle n'a pas été éliminée.
Elle n'a même pas diminué d'intensité ! Ces hommes-juges n'ont d'autre solution que de
limiter encore davantage la liberté de leurs épouses.
Par ailleurs, la sexualité masculine est indissociable d'une "mise en
danger". Attiré mécaniquement par la femme, l'homme est forcé d'éprouver la
la femme comme "dangereuse" que ce soit consciemment ou inconsciemment.
La morale basée sur le rejet de la sexualité place alors l'homme devant
une redoutable croisée des chemins :
Que se serait-il passé si Muffat avait été plus informé de ses tendances
intérieures véritables ? gageons que Nana lui serait apparue tout aussi
séduisante, mais beaucoup moins fascinante, moins dangereuse. Le portefeuille de
Muffat s'en serait mieux trouvé et il n'y aurait pas eu de roman.
L'Ange Bleu occupe une place centrale dans l'univers culturel du début
du XXème siècle et les mésaventures du Professeur Rath résument bien la
mentalité collective de l'époque. On y trouve l'architecture générale des positions prises vis à vis de la sexualité et des rapports convenus entre les hommes et les femmes.
Lola Lola est l'archétype de la femme fatale. Dominatrice bon teint, ses appels-ordres attendent et provoquent une réaction permanente chez son professeur de mari. Elle incarne une relation sexuelle qui englobe tous les aspects et tous les instants de la vie commune.
La catastrophe psychologique qui frappe Rath relève du regard moral porté par la société sur la sexualité. L'histoire ne peut que mal finir et la faute en est imputable à la femme, comme de bien entendu. Amusons nous à placer l'histoire dans une société imaginaire au sein de laquelle la sexualité serait considérée comme un des beaux-arts. Dans cette société, il serait bienvenu de parler ses sensations sexuelles comme il est de bon ton dans la nôtre d'évoquer la qualité d'un Bourgogne ou de quelque autre grand vin. Une société dans laquelle il serait normal, estimable et même recommandé d'aller au cabaret regarder les cuisses des danseuses. Les élèves de Rath n'auraient pas été surpris de trouver leur professeur dans un lieu de qualité. Ils prendraient même modèle sur lui. Plus de scandale social. Plus de drame. L'estimable professeur pourrait avoir une liaison passagère ou durable avec la personne de son choix, il bénéficierait toujours de l'estime admirative de ses concitoyens.
L'histoire place un professeur en face d'une chanteuse de cabaret. Le niveau culturel n'est pas le même et il n'y a pas de dialogue entre les deux. Ce film, d'ailleurs, ne montre ni dialogue ni amour profond à l'exception de celui que Rath porte à sa belle. Le film dépeint une société de rapports de forces. Faisons alors une autre supposition. Laissons l'histoire dans son cadre d'origine, mais dotons Lola Lola de qualités intellectuelles et morales qui lui permettent de faire jeu égal avec Rath. Nos deux héros peuvent alors dialoguer à perte de vue comme la plupart des amoureux chez Shakespeare : Roméo et Juliette, le Marchand de Venise, et autres sont des pièces dans lesquelles les femmes sont au moins les égales des hommes sur le plan du courage et de l'intelligence. Le dialogue entre Rath et Lola Lola
supprime l'impasse. Le Professeur peut éventuellement perdre son emploi et l'estime de ses concitoyens, il ne fait que changer de vie et n'est plus face au gouffre. L'amour qui les lie n'est plus diabolique mais bien au contraire la base d'un nouveau départ.
Toute puissance de la sexualité, emprise sexuelle de la femme sur l'homme, diabolisation du sexe et absence de dialogue, voilà les quatre
composantes du drame. Les deux premières appartiennent à la réalité humaine objective et éternelle. Les deux dernières sont anecdotiques et relèvent de préjugés sociaux et culturels qui pourraient "ne pas être". Le film se situe à l'intersection des deux sphères. Tout comme l'individu. Pour partie réel, pour partie imaginaire.
La volonté de destruction, la haine sont assimilables à la volonté de changer ce qui est par la destruction des obstacles à la réalisation de ce que l'on estime juste. La volonté de créer, l'espérance ne diffèrent des deux précédentes que par la pensée car dans le premier cas, il s'agit de faire disparaître un obstacle alors que dans le second, il s'agit de modifier ce qui est par une restructuration.
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(c) Charles Gangi 2002 tous droits réservés ------ liste des extraits
Ambivalence
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(c) Charles Gangi 2002 tous droits réservés ------ liste des extraits
L'éducation
L'éducation sexuelle permet de juger les pulsions amoureuses pour les
canaliser selon la morale en vigueur. Cette éducation apparaît comme la
résultante de toutes les influences s'exerçant sur l'individu depuis la petite
enfance. Les parents dont on reproduit les comportements inconscients, les
copains d'école, qu'on imite pour se sentir du même groupe social, les
voisins, les collègues de travail sur lesquels on calque son propre
comportement pour la même raison et ainsi de suite. En gros, l'éducation
sociale et sexuelle s'effectue d'une façon très animale, par imitation.
Ce genre d'éducation a pour effet de briser radicalement toute approche
consciente de nos pulsions sexuelles. Elle nous empêche de reconnaître
ou même de seulement sentir la sexualité telle qu'elle est, là où elle se
trouve. Elle fausse la compréhension de nos propres comportements et nous
enferme dans l'imaginaire.
et le rejet de la sexualité se transforme en rejet de la femme, avec toutes les
conséquences psychologiques et sociales que cela implique. Il perçoit la femme
dans son mystère déstabilisant mais réprouve sa
propre perception sans admettre qu'en réalité, il recherche cette mise en
déséquilibre qui lui est nécessaire. L'homme perd alors toute cohérence de
jugement et en vient inévitablement à considérer qu'il y a quelque chose de
malsain dans la femme, et qu'elle est plus ou moins responsable de tout ce
qui ne va pas. A commencer par Eve et la chute du paradis terrestre, les
sorcières, les femmes fatales etc... Emile Zola décrit, en Nana, une prostituée
particulièrement redoutable. Les hommes et leurs comptes en banque ne lui
résistent pas. Parmi ses victimes, le comte Muffat perdra une immense
fortune en l'aimant. Mettons nous à la place de celui-ci. Aime-t-il Nana, son
corps, son âme, tout à la fois ? ou aime-t-il surtout le gouffre que Nana
ouvre devant lui ? L'éducation sexuelle du XIXème lui interdit toute
conscience de ses pulsions profondes. Ce qui a l'inconvénient de
l'empêcher de percevoir l'attirance qu'il éprouve pour son propre conflit
intérieur. Ce qui a pour conséquence de l'obliger à projeter à l'extérieur de
lui-même - sur Nana - l'origine du délicieux chaos intérieur qui le torture.
Ce qui le livre pieds et poings liés à la première fille venue qui a un peu de
savoir-faire.
et perd conscience de ce qu'il éprouve face à la femme. L'homme cesse de
placer la femme au centre de ses préoccupations même en cas de sexualité
physique importante. Comme la mise en danger est liée à sa propre sexualité,
l'homme va, qu'il le veuille ou non, transposer ailleurs cette nécessaire mise
en danger. Dans sa vie privée, il va entreprendre tout et n'importe quoi.
Dans la vie publique, il ne craindra pas d'exposer sa propre vie ou la vie
d'autrui. On constate que les sociétés qui professent le plus grand mépris
du danger sont celles qui relèguent le plus la femme à une place subalterne.
(c) Charles Gangi 2002 tous droits réservés ------ liste des extraits
L'Ange Bleu
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